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COMMENT ABORDER, AUJOURD'HUI, MELANCOLIE ET DEPRESSION ? FEVRIER 2016


6 Ces enfants qui veulent rien




 



Ces enfants qui veulent « rien »

 

 

Inhibition et impasse thérapeuthique

Comme participation à ces journées, je vous propose d’aborder la problématique de ces enfants ou de ces adolescents qui ne pensent à rienqui ne veulent rien. L’ennui est rarement évoqué chez eux. Par contre, il va l’être chez l’autre, celui ou celle qui est là pour des raisons variées, et bien sûr le thérapeute qui s’efforce à donner la parole, à réanimer cette pensée vide, à réactiver ce vouloir sans objet, à mettre en mouvement une demande.  Cet autre là ne va recueillir que du rien. Ce qui n’est pas sans le laisser dépité, sans emploi en quelque sorte, ce qu’il supporte assez mal en général. Ce qui peut le conduire en réaction à cet échec à des initiatives qui ne sont pas toujours heureuses.

En effet cela revient à considérer ce non-vouloir, cette non-demande, cette inertie comme une déclaration d’opposition, voire d’agression. Ce qui n’est pas forcément faux, mais de le dénoncer, de l’interpréter sauvagement, ou de passer à une action stimulante quelconque, l’expérience montre que cela peut conduire à une aggravation, ou au mieux à ce que cela ne serve à rien .

Une sortie possible de cet embarras pourrait s’imaginer en se disant que ce rien, ce n’est pas rien, qu’on pourrait le considérer d’un autre point de vue, soit que ce rien serait une sorte d’objet particulier pour le sujet. Si ce rien ne fait pas toujours symptôme, il n’est pas rare par contre que l’affect d’angoisse ne soit pas si loin.

Ce refus de travailler, de se mettre en mouvement, de parler, de penser, de savoir, de séduire, rien ne nous empêche, c’est le cas de le dire, de le situer du coté de l’inhibition, soit comme limitation fonctionnelle du Moi. C’est  bien ce qui correspond à la définition qu’en donne Freud, en précisant qu’il s’agit d’une limitation de l’énergie pulsionnelle, tant celle qui vise un but sexuel que celle qui participe à la sublimation.

Cette inhibition, quand elle excède une certaine mesure, va prendre une valeur négative, et participe ainsi au tableau ordinaire de la dépression. Pourtant on oublie souvent que chez Freud lui-même elle a aussi une autre valeur : celle d’une régulation pour l’infans afin qu’il ne se laisse pas aller à des satisfactions hallucinatoires. Nous trouvons dans son Esquisse pour une psychologie scientifique cette indication que le plaisir qui relève du processus primaire doit être inhibé, que c’est même la condition nécessaire à la mise en place du principe de réalité. C’est à ce titre un mécanisme favorable à l’émergence du Moi.

On peut soutenir que cet oubli de la dimension positive de l’inhibition est dommageable dans l’approche clinique de l’enfant et de l’adolescent, et raison de bien des impasses thérapeutiques.

 

Sortir de l’impasse thérapeutique avec les enfants inhibés.

L'inhibition en clinique infantile vient si souvent embarrasser le thérapeute qu'il lui arrive quelque fois d'être dans l'impérieux besoin de trouver une sortie à l'inertie où se trouve pris son projet thérapeutique. Les passages à l'acte, sous des formes plus ou moins sophistiquées ne sont pas rares. Au mieux il est traversé par des fantasmes d'expulsion, ce qui laisse parfois la chance d'une analyse du contre-transfert.

Une technique que nous avions reléguée au rang des pratiques par trop volontaristes et suspectées d'une normalisation abusive nous est apparue comme une manière de sortir de cet embarras : la psychothérapie de groupe. Elle ne fut pas seulement une manière de soulager le thérapeute, elle fut en effet pour nous l'occasion d’un approfondissement de ce phénomène de l'inhibition.          

Une remarque d'abord sur les conditions de notre rencontre avec ces enfants qui présentent avec une grande fréquence des inhibitions. Ils sont très souvent issus de milieux qu'on dit défavorisés; cette défaveur tient pour l'essentiel aux conditions qui sont faites å leurs parents dans leurs situations sociales sous-prolétarisation dans le milieu rural. Ce n’est pas seulement ici le travail qui manque, c'est la dignité d’un rôle social qui disparaît et ainsi le support dans l'Autre Social du fonctionnement de la fonction paternelle. Ce qui donnait consistance aux communautés rurales est désormais volatilisé par les effets du discours de la science et d’un idéal gestionnaire, le lien social ne trouve plus d'Autre que celui d'une époque "audiovisuelle".

Un cas clinique : Yann

Yann est âgé de huit ans quand sa mère le conduit à la consultation d’un C.M.P.P. Elle a été vivement conseillée par l'institution scolaire; il est alors en C.E.1 et présente de grandes difficultés d'apprentissage alors qu'il a déjà redoublé le C.P. C'est le quatrième enfant d’une fratrie de quatre. Les deux filles ainées Lise (14ans) et Nadège (13 ans) ont été orientées vers un Institut Médico-Educatif à la grande satisfaction des parents, et  Pierre (12 ans) suit lui aussi sa scolarité dans une structure spécialisée.

Lors de ce premier contact, la mère est peu informative. Elle indique les problèmes matériels dans lesquels la famille se débat. Le père sort d'une période de chômage et fort heureusement il vient de trouver un emploi comme ouvrier agricole dans un élevage de volailles. La mère de Yann estime que l'école, « C’est trop dur pour lui » et souhaite vivement qu'il soit orienté, comme ses sœurs, vers le même I.M.E.

Il avait été vu par un psychologue scolaire qui nous a transmis suite à l'accord de la famille ses observations et les résultats obtenus à la WISC-R : II obtient un Q.I. de 75 avec de meilleurs scores en performance qu'en verbal.

Nous le recevrons ensuite lors de trois entretiens espacés de plus d'un mois.

Au premier la mère nous redit l’échec scolaire : "ca ne va pas à l'école", se plaint de l'institutrice: "elle l’a pris en grippe", et regrette qu'il n'ait pas été orienté dés cette année à l'I.M.E. II nous faut la questionner avec insistance pour qu’elle nous parle de son enfant. Ce qu’elle fait sur le mode descriptif de ses activités, en fait essentiellement la télévision et la vidéo tant en soirée qu'en fin de semaine C'est un enfant calme qui a une relation privilégiée avec elle dans la mesure où les autres enfants sont en pension dans leurs institutions respectives durant la semaine. Le père part à son travail à 4 heures du matin et ne rentre pas avant 21 heures. Il n'a pas ses congés en même temps que les enfants. Il a donc peu de temps d'échange avec son fils.

Elle nous dit aussi que Yann ne s'entend pas avec son frère de 4 ans plus âgé et qu'il préfère jouer avec une petite voisine plus jeune que 1ui.

Yann est resté présent mais passif pendant cet échange avec sa mère mais en sa présence. C'est un enfant de petite taille, légèrement voûté, replié sur sa chaise. Ses vêtements sont mal entretenus et manifestement malmenés. Son sourire cache mal son anxiété.

Seul avec nous, il évoque les aménagements nécessités par "Vigipirate" "on est obligé de faire le grand tour " et de poursuivre sur la présence et la surveillance maternelle. Son activité de loisir est essentiellement de regarder la télévision et des cassettes vidéo: Quand nous lui demandons de nous raconter une de ces histoires, il est très mai à l'aise :" Je m'en rappelle plus. .." Et le soir? "Je fais un peu mes devoirs". Et le père? "Il travaille, il va à la chasse ." Du dessin réalisé pendant l'entretien avec la mère, il donne un court descriptif "l'eau qui dégouline, des poissons, des gens qui habitent dans la maison, mais qui sont partis. Un enfant (non représenté dans son dessin) joue avec ses jouets de Noël.

Tous ces éléments doivent être sollicités. Cela donne le sentiment d’un clivage entre un monde clos sur lui-même et un monde extérieur quelque peu inquiétant. La mère est située dans la surveillance et le père dans l’absence. Mais il pourra dire ensuite son attente du père: "Il va nous apprendre à pécher".

Lors de notre deuxième entretien, il est un peu plus détendu. Bien que son expression langagière soit bien maladroite et pauvre, il témoigne de quelques uns de ses investissements, il nomme ses copains, ses jeux: "on joue au sable, on se fait des croche pattes, on monte sur les barres, on fait des trous". De l'école, il ne peut en donner qu'un descriptif succinct de l'emploi du temps "On fait des maths, on range, on va à la cantine, on attend..."

Un dessin libre å notre demande reprend la thématique de la première rencontre :  ; s’y ajoute "un monsieur" qui donne à manger aux poissons;"- Qui est ce Monsieur? : "Ch'ai pas.", puis il se précise que c'est « un fils », que les parents sont partis vivre ailleurs, et que cet enfant vit là avec son arbre de Noël, ses poissons et ses chiens.

[On rencontre  avec une grande fréquence chez les enfants inhibés ce thème de la maison non-habitée, désertée, mise-en-vente.]

Au troisième entretien, après avoir évoqué sur un mode factuel ses différentes activités (ramassage de châtaignes, de fleurs) il réalise à notre demande "un dessin de famille" qui présente trois personnages féminins. Une fille « qui est en train de faire sa coiffure. Une  sœur qui s’habille. Le troisième personnage enfin, c'est la maman qui est munie d'une bien curieuse jambe. Nous apprenons qu'il s'agit d’un plâtre. Et Yann d’arrêter impérativement cette présentation par un " C'est tout ". Ce plâtre nous laisse perplexe.

Ce « C’est tout » qui clôt cette évocation, comment l’entendre ? Pas question d’en dire plus ? Serait ce l'indice d'un trop de savoir silencieux ? S’agit-il d’un "sait-tout » qui serait propre à provoquer une claudication du sujet ? Nous sommes restés sur le moment avec ces énigmes.

Pourtant au point où nous en étions, il nous fallait sinon conclure du moins ramasser les éléments saillants de ces rencontres.

Nous dirions alors que cet enfant issu d’un milieu défavorisé, où le déficit dans les apprentissages scolaires et de l'adaptation fait parti d’un ordre des choses selon le discours maternel, ordre dans lequel l'enfant est sommé de se conformer, où l’on nous demande en quelque sorte que ce destin familial se poursuive, et que Yann prenne la place qui lui est retenue, soit celle d'un enfant déficient qui serait bien chez lui dans une institution spécialisée qui a si bien réussie à son frère et à ses sœurs.

Du côte de l'enfant, on retient l'idée d’un enfant qui ne présente pas de trouble majeur de la relation, qui s'est bien adapté å la situation d'entretien, dont le maniement de la parole est pauvre et dont l'élaboration de la pensée nous semble marquée par une importante inhibition.

Quand nous revoyons ensuite la mère, lors de l'entretien dit de post-synthèse, pour proposer un suivi en psychothérapie de groupe, celle-ci accepte d'autant plus cette idée qu'elle nous laisse entendre que cela pourrait faciliter son orientation en I.M.E. Nos remarques critiques sur ce point de vue n’entament guère ses convictions : « sa place, c’est là-bas ».

Il est bien vrai que d’après l’évaluation pédagogique réalisée au C.M.P.P. ses acquisitions scolaires sont bien faibles.  La lecture n'est pas acquise, Il ne sait pas lire les phonèmes; de même à l'écrit, les acquis sont médiocres : il sait seulement écrire son prénom, maman et le nom de famille. Par contre, la numération peut se faire jusqu’à 60 et le concept du nombre est utilisé. II a aussi le sens de l'addition; à l'épreuve des images séquentielles, on note un langage implicite. Le vocabulaire est très pauvre. II n'arrive pas à ordonner un récit.

Lors de l'une de nos rencontres, Yann avait évoqué furtivement  la mort d'un enfant. Nous interrogeons la mère là-dessus au cours de cet entretien dit de post-synthèse : elle confirme qu’en effet elle a perdu un garçon de 9 mois dans un accident de voiture où elle-même a été blessée : il y a eu fracture d'une jambe. Elle était alors enceinte d'environ 7 mois et elle a perdu aussi l'enfant qu'elle portait. La mère résume avec un ton désaffecté ce tragique événement: « On pourrait dire qu'il y a 2 enfants morts, j'ai pas trop aimé, après j'ai remonté la pente, après j'étais enceinte de Lise.", Lise étant l’ainée.

Yann était au courant de ce.(ces) décès. Le prénom du garçon décédé n'est pas sans résonance avec Yann. En résumé donc, Yann est le dernier d’une fratrie de six enfants dont quatre enfants vivants. Il aurait peut être la charge de représenter dans l’inconscient maternel un des enfants mort.

Yann semble favorable pour participer à un groupe psychothérapique. De même son père, qui restera pratiquement mutique pendant cet entretien dit de post-synthèse, mais il donne son accord.

L’enfant va y venir régulièrement à ces séances hébdomadaires pendant plus d’une année.

 

Le groupe psychothérapeutique.

 

Nous allons présenter maintenant le cadre que propose ce groupe psychothérapique. Nous reviendrons ensuite au travail entrepris avec cet enfant.

Ce groupe est donc une tentative de dépassement de l'embarras rencontré dans les psychothérapies de ces enfants inhibés de la période de latence issus de milieux défavorisés, avec ces cas où l'indication d'une psychothérapie semble devoir s'imposer, c’est-à-dire que l’hypothèse d’une psychogénèse du trouble peut se faire,  mais où le processus se heurte aux plus  grandes difficultés de par la pauvreté de l'expression verbale, la répétition des productions, la lassitude du thérapeute et finalement la médiocrité des résultats thérapeutiques.

II y a certainement à interroger ici comment s'articule l’inhibition dans la relation transférentielle et comment elle vient mettre en échec le désir du thérapeute. On peut avancer aussi que la relation duale semble être en elle-même inhibitrice du processus thérapeutique.

Avec de tels cas, on propose habituellement ce qu’on appelle des médiations : dessin, pâtes-à-modeler, jeu, etc. Le groupe psychothérapique est une autre alternative, et présente l’avantage ici de déjouer les impasses de la relation duelle. La technique utilisée  emprunte à l'orientation du psychodrame tel que l’ont pratiqué et transmis Gennie et Paul Lemoine.( cf. leur ouvrage" le psychodrame" aux Editions Universitaires, 1987), mais en l’adaptant à la problématique envisagée.

Le groupe se compose de 4 à 5 enfants âgés de 6 à 10 ans et de deux psychothérapeutes.

Des entretiens préliminaires, comme ceux qui viennent d’être évoqué, vont permettre d’apprécier la configuration psychopathologique, y compris comment elle s’articule avec l’histoire familiale.

Voici comment nous pouvons schématiquement décrire le déroulement d'une séance. Un psychothérapeute est animateur de la séance alors que l'autre reste hors jeu. La séance dure une heure et se divise en plusieurs séquences:

-1°) le dessin: chaque enfant est invité à dessiner sur des feuilles individuelles mais sur une table commune.

-2°) le récit : chaque enfant est sollicité pour qu'il raconte son dessin. Puis l’ensemble de ces dessins sont soustraits à la vue.

3°) Le scénario : à partir d’un ou de plusieurs de ces récits aussi succincts soient ils un scénario est élaboré. Selon l'évolution du groupe, le psychothérapeute intervient plus ou moins.

4°) Les rôles : ils sont distribués à partir du souhait des enfants, mais cela peut être une proposition du psychothérapeute. Le psychothérapeute peut lui-même prendre un rôle. II peut se faire aussi qu'un enfant refuse tout rôle : il reste alors spectateur.

5°) le jeu : il se déroule dans un espace quelque peu  différencié de la pièce, une autre scène où le scenario précédemment élaboré va être théâtralisé. La mise en scène conduit à des développements qui dépassent et déplacent le scénario original. Le psychothérapeute animateur apporte les scansions nécessaires, il lui arrive de jouer lui- même un rôle. Le deuxième psychothérapeute reste hors-jeu, en observation de ce qui se joue. La position des psychothérapeutes alterne d’une séance à l’autre.

6°) la critique de ce qui vient d'être joué s'engage ensuite avec les deux thérapeutes. Il s’agit de favoriser la circulation de la parole, de permettre les associations libres de chacun des enfants. La manière dont le rôle est investie corporellement, le "bien-joué" est valorisé. II est demandé que le jeu soit plausible avec le rôle à tenir à ce moment là dans la mise sur la scène.

7°) la reprise : il peut être proposé de rejouer le scenario primaire ou d'y intégrer des modifications en fonction des développements de la mise-en-scène, des remarques et associations qui ont suivi. Les enfants sont amenés assez souvent à changer de rôle, quelques fois d'en rester titulaires, ou d'accepter de jouer un rôle alors que cela n'avait pas été possible auparavant.

Après une nouvelle mise-en-scène, nous reprenons un temps d'échange critique qui va donner lieu à d'autres modifications du scénario secondaire.

 

Quelques exemples de suivis.

 

-le cas de Juliette : Après deux ans de psychothérapie duale qui avait épuisé son psychothérapeute, une nouvelle démarche est tentée sous la forme d'une psychothérapie de groupe. A la première séance sur son dessin apparaissent deux rectangles énigmatiques qui vont s'avérer être des pierres tombales. Elle propose un peu plus tard, au moment de la construction du scénario de donner des prénoms aux morts. Et elle choisit ceux de ses propres parents en nous l'indiquant expressément. Dans le jeu psychodramatique, d'autres enfants accepteront avec joie de jouer ces rôles de parents morts et enterrés.

-le cas de René : La mère nous avait expressément demandé qu'on le guérisse" juste un peu" car elle craignait qu'il ne bouge de trop. Bébé il avait du être mis dans un plâtre de contention pour récupérer une malformation au niveau des hanches. La maman nous avait apporté la photo de ce bébé plâtré sur toute la partie inférieure de son corps, un bébé qui ne se plaignait jamais. Quatrième d'une fratrie de quatre, l'ainé s'était noyé dans une mare ce qui avait déclenché une dépression chez la mère qui dit en souffrir encore. Pendant de nombreuses séances de groupe, René lui-même ou bien un autre enfant du groupe dessinait un ovale bleu dont personne ne pouvait rien dire. Au cours du travail, le thème d’un poisson enfermé dans un bocal de verre a surgi; René a pu jouer ce poisson là qui tournait infiniment en rond, mutique comme il convient à un poisson. Les partenaires de ce jeu, toutes tentatives d'en faire sortir son locataire ayant échoué, ont décidé de casser le bocal !

-le cas d'Agnès : fillette d'une grande passivité à l'expression langagière fort réduite,  dessine avec une remarquable répétition des maisons que personne n’habite bien qu'une fumée sorte de la cheminée. Un autre enfant du groupe, Yann justement, réalisa lors d'une séance "la maison-loup" et développa le scénario suivant : des enfants qui s'ennuient vont se promener et entrent dans cette maison-loup. Ils perçoivent alors quelque chose d'inquiétant: des yeux dans l'obscurité. La question est posée alors : est ce un rêve? est ce un loup? A notre surprise Agnès acceptera de jouer le rôle d’un de ces enfants effrayés, suite å l'intervention d’un autre membre du groupe : " II faudra bien que tu le dises! " La mise en scène de son effroi devant l'énigme de ces yeux sans corps lui sera possible par identification à un autre enfant qui avait tenu cc rôle quelques instants auparavant.

-le cas de Julien : C’est un enfant spécialement coincé qui témoigne d’une grande avarice dans l’échange, qui ne propose aucun scénario à jouer, et qui même au niveau du dessin apporte des productions de la plus extrême pauvreté. Tout juste s’il accepte de faire quelques traits, un cercle, un carré. Et quant à nous en parler, rien ne vient. Justement, il disait le plus souvent ceci à propos de son dessin : « rien ». Il nous vint un jour de reprendre ce rien et de proposer de faire une histoire avec du « rien », ce qui accrocha les autres enfants, et permis la mise en place d’un scénario. Même si Julien n’y participa pas plus ce jour là, son rien était devenu quelque chose qui participait de l’histoire jouée par les autres enfants. Ce qui ne fut pas sans conséquence pour lui par la suite. 

 

Quelques remarques sur le fonctionnement de ces groupes

 

1°) Aristote dans le chapitre de la poétique accorde au théâtre la vertu d'occasionner une "purification des affects.". Freud poursuit cette remarque dans "Personnages psychopathiques à la scène" en écrivant que "le drame au théâtre ouvre au spectateur l'accès aux sources de plaisir ou de jouissance ( ) dont bon nombre des sources sont inaccessibles". Il en résulterait pour lui un allégement du à la décharge massive et à l'excitation sexuelle concomitante. L'utilisation de personnage psychopathique à la scène, il fait référence entre autre à Hamlet, permet au spectateur de se retrouver dans le héros "car une part de résistance est épargnée et que les représentations sont alors reconnaissables".

 C'est bien là un des ressorts de la dynamique de ces groupes. Le fait que l’un quelconque des participants mette en scène par quelques aspects que ce soit des éléments même discrets de la problématique d'un enfant qui se trouve à ce moment là dans l'impossibilité de prendre un rôle, cela n'empêche en rien qu'une opération psychique puisse se faire pour celui qui est resté dans une complète inhibition.

2°) Comme a si bien dit le poète : "Je est un autre". Dans la dynamique engendrée par le groupe, le sujet, quoi qu'il en dise ou quoi qu'il en taise se fait identifier, entre autre, par son symptôme. Ce trait d'identification est mis en circulation à son insu alors qu'il vient prendre valeur signifiante pour les autres. Ce signe a été muté en signifiant en charge de représenter le sujet pour un autre signifiant. II y a eu délocalisation et le sujet s'en trouve divisé entre l'image de lui-même où son moi se trouve capturé et la mise-en-circulation des messages qu'il a livrés sans le savoir, dans un « c’est tout », dans un « c’est rien », dans un "chai' pas" qui laisse, c’est exemplaire avec ce « chai pas »,  en suspens un "je", un sujet de l'énonciation.

II ne lui est pas fait retour de ses "quatre vérités" comme il se fait dans une injure, pente glissante d'une pratique interprétative qui oublie le lieu d'où se tient son à propos. lci, ses messages circulent maintenant dans le discours du groupe. Les alter-ego ne se font pas seulement miroir, ils parlent, ils écoutent aussi,  ils jouent, ils déjouent, ils déplacent, ils interprètent. Et s’il arrive au sujet d’entendre ses propres messages sur un mode inversé, c’est qu’un semblant d'Autre s’est invité, mine de rien, dans la sarabande.

3°) Du point de vue pulsionnel, disons qu'au niveau du dessin, ce sont les pulsions anales et scopiques qui sont principalement impliquées. Avec le récit demandé par l'autre, c'est un moment de bascule, de cession d'une image donnée à voir à un don de parole qui comporte dans sa structure de parole quelque chose qui échappe à la pure image. Dans la mise-en-scène, le donné-à-voir est de nouveau convoqué, mais dans une demande d'ordonnance phallique: le "bien-joué" exige une articulation des différents registres pulsionnels. Au niveau dit de la critique, il s'agit là encore de parler, mais d'un autre lieu, d’un autre point de vue, décentré, par rapport à la mise-en-scène : chacun y est invité à tenir le discours au lieu de l'altérité

Certes, à chacun de ces niveaux, les pulsions engagées peuvent fonctionner pour leur propre compte et soutenir la jouissance d’un sujet non divisé : de l'inertie à l'agitation, du mutisme à la logorrhée, de la prostration à l'exhibitionnisme, toutes les variations se rencontrent. Les circuits proposés avec ce jeu de la parole et de la mise-en acte dans ce cadre psychothérapique offrent la possibilité que l'intrication pulsionnelle ne soit pas arrêtée dans son mouvement - comme l'inhibé en fait son habitus. II peut trouver là un autre mode de tricotager ses différentes pulsions.

La mise-en-scénario et la mise en scène sont des actes signifiant qui permettent un nouage des pulsions et de la parole. Cc processus en tant qu'il est porté par un désir, à minima celui de la reconnaissance, implique le désir de l'Autre. Pour les psychothérapeutes, la tâche ne consiste pas à réaliser une belle mise-en-scène, mais à soutenir cette adresse faite à 1'Autre, même si la lettre qui arrive est quelque peu chiffonnée. La non-demande de l'inhibé peut s’entendre comme un encombrement du lieu de l'Autre. Cela exige des  thérapeute qui soutiennent de leur désir cette opération, de faire avec cette contradiction, d'une part de tenir la maison, de se faire garantie d’un cadre qui peut accueillir une inarticulable demande, et d'autre part de maintenir dans leur désir même une particulère vacance.

L’évolution de Yann

Revenons maintenant à Yann et tentons quelques repérages dans le travail psychothérapique qui s’est poursuit sur plus d’une année. On distinguera plusieurs périodes qui ne resteront pour l'instant qu'un découpage empirique.

1°) Premier temps de 5 mois environ de passivité. II se montre dans ce premier temps de participation au groupe d'une grande inertie. Ses dessins sont d'une grande pauvreté et encore moins expressifs que lors des entretiens préliminaires. Les commentaires qu'il accepte d'en faire sont indigents. II refuse le plus souvent de jouer un rôle; il semble à coté de ce qui se passe. S'il accepte de jouer c'est en" parasite" d’un garçon plus âgé qui lui ne présente plus dans le temps de la séance aucune inhibition et aurait même tendance aux actings. Il reste collé à ce garçon mais sans participer à ses actings.

2°) Deuxième temps, les cinq mois suivants où la relation à ce  garçon est devenue centrale dans son mode de présence. Alors que ce camarade violent n'était pas sans causer une certaine frayeur chez les autres participants, Yann était le seul à ne pas en avoir peur. Ses dessins sont toujours pauvres, et ses associations réduites: "un garçon qui s'ennuie..., les parents sont partis..."

3°) Troisième temps de trois environ. Il y a eu  l'arrêt de la participation de ce garçon qui fascinait tant Yann. Il l’évoque souvent  et surtout il va utiliser des signifiants, des comportements qu'utilisaient ce garçon quand il faisait partie de cc groupe.

4°) Quatrième temps de trois mois suivant où le jeu psychodramatique de Yann s'est enrichi. Il investit ses rôles. Lors des reprises, il lui arrive d'évoquer sa vie de relation avec son frère, avec ses cousins. Il peut témoigner maintenant de positions qui lui soient personnelles, voire de se mettre en opposition vis-å-vis d'autres enfants du groupe. Ses dessins restent toujours aussi pauvres.

5°) Cinquième temps de 3 mois : iI est devenu peu à peu l'élément moteur du groupe, ses dessins se sont enrichis. II se montre d'une grande pertinence dans les propos qu'il adresse aux autres enfants. Son jeu est plus précis et plus crédible. II est bien plus engagé dans sa parole.

6°) Sixième temps de quatre mois : Cette dynamique s'est amplifiée. Nous n'avons pas réussi à rencontrer les parents malgré plusieurs invitations, mais l’enfant vient régulièrement aux séances.

 Nous avons appris par ailleurs que son attitude vis-å-vis des apprentissages scolaires s'est modifiée. Il va passer dans la classe supérieure; le testing du psychologue scolaire révèle une augmentation de son Q.I.: (81,94) 84. L'orientation en I.M.E. est dorénavant tout à fait hors de question.

7°) Durant un septième temps qui se poursuivra encore quelques temps, cette évolution va se confirmer. II a introduit le thème des extra-terrestres, "ceux qui sont au ciel" qui viennent tourmenter les vivants et spécialement les enfants. II s'agit alors de leur échapper et si possible de les tuer.

Nous avons cru pouvoir proposer un terme à ce travail à l’occasion de la pause de l’été et nous en expliquer par téléphone avec la mère.

Dans l’après coup de ce parcours, il nous était apparu que le moment tournant de ce travail fut celui d’un processus de deuil tel qu’il s’était mis en acte après le départ de cet alter-égo qui lui avait permis de vivre ses propres mouvements, non en son nom propre, mais par procuration.

De cette jouissance mortifère, assigné qu’il était dans le fantasme de la mère à la place de l’enfant mort, quelque chose a pu en tomber. Alors son désir pouvait s’engager avec moins de risque.

 

L’inhibition et le désir

Que nous apprend l'histoire de Yann ? D'abord que l'inhibition, en quelque sorte, il ne faut pas y croire, c'est-à-dire ne pas se laisser prendre à cette image de l'inertie, de la pétrification et de la mort, ne pas se laisser prendre par le mouvement du "laisser-tomber" que cela provoque chez l'autre. Il y aurait à considérer que le sujet se présente bien  et que l'inhibition est un signe fait à l'autre, un signe enfermé dans une logique binaire, dans une logique imaginaire. Comment alors donner la parole à ce signe ? En faisant l'hypothèse qu'il recèle un savoir, un savoir qui va pouvoir s'articuler en signifiant. Cette mutation du signe en signifiant passe par la parole, par le risque de la parole, ce qui peut passer aussi dans ce dispositif dans la geste du jeu psychodramatique.

Nous pouvons ici nous demander à quelle place Yann se trouvait-il dans le désir de l'Autre? On a pu entendre que dans l'économie maternelle chacun de ses enfants venait prendre la place de l'enfant mort, de l'enfant sacrifié aux dieux obscurs de la circulation automobile.

Cette articulation du désir du sujet au désir de l'Autre est essentielle pour situer la question de l'inhibition. Freud avait bien indiqué que l'on ne peut rien saisir de la question de l'inhibition si on ne l'articule pas à l'angoisse et au symptôme. II a défini l'angoisse comme signal, signal d’un danger, danger à différencier de la situation traumatique, mais signal d’un danger qui a cependant un caractère vital.

Lacan précisera " qu'il est lié au caractère de cession du moment constitutif de l'objet a ". Dans son séminaire sur l'angoisse (1962-1963), il se distingue de Freud en rapportant cet affect au désir de l'Autre. L’angoisse se rapporte à la méconnaissance où se trouve le sujet de quel type d'objet (a) il est pour ce désir là.

Souvenons nous du "Chai pas" et du « 'C’est tout." de ces enfants inhibés. On pourrait dire que cette déclaration d’ignorance ne va pas sans passion. Ce n’est pas négociable, c’est un « Chai pas, un point c’est tout ! » Nous sommes en effet en quelque sorte dans ce qui a été nommé  la passion de l’ignorance.

Ce qui pourrait s’entendre c'est que le don de parole est ici marqué par un risque essentiel, car alors le sujet se trouve comme requis de se manifester en tant que sujet. Cette manifestation est aperçue non dans l’ordre de l'avoir mais dans celui de l'être. Il  ne s'agirait pas de donner ce qu'il a mais ce qu'il est. Et ce qu'il a à donner c'est ce qu'il retient car donner, dans la relation imaginaire où il se trouve, c'est donner son être, en fait un semblant d'être qui lui est cependant dans ce temps là tout à fait nécessaire.

La première forme du désir, puisque c'est d'abord le désir de l'Autre, s'apparente, s'identifie donc à l’ordre de l'inhibition. Nous cernons par cette contradiction la problématique de l'inhibé le surgissement du désir s'oppose à sa cause. A ce niveau, l'inhibition est le désir.

Quand le sujet monte sur la scène de son existence, que le scenario le conduise du cote de la comédie ou de la tragédie, ce n'est pas le rôle qui compte, c'est ce qui, au-delà du rôle reste, et dégage cette identification d'un sujet comme objet cessible puisqu'au regard du grand Autre mythique, non entamé, non barré, il n'est que cela, un objet en perte pure.

 On pourrait en déduire que l'enfant inhibé serait comme encombré de ce savoir là, un trop de savoir qu'il ne peut articuler. Une fois lancé dans le jeu métaphorique et métonymique tel que  le rend praticable la mise-en scène psychodramatique, une division du sujet est jouable ce qui va du même coup diviser cette figure totalitaire du Grand Autre.

 

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- Auteur : Alain HARLY
- Titre : 6 Ces enfants qui veulent rien
- Date de publication : 10-03-2016
- Publication : Collège de psychiatrie
- Adresse originale (URL) : http://www.collegepsychiatrie.com/index.php?sp=comm&comm_id=171