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JEAN Thierry. Vers une tiers-mondialisation de la psychiatrie ?


Plus que de révéler la faillite de la psychiatrie française, les récents événements tragiques impliquant la folie des hommes, mettent une nouvelle fois en exergue ce fait que le dispositif politique d’une société se mesure à la façon dont elle traite la folie.

L’inflation des missions, aujourd’hui,  dévolues aux psychiatres dans le contexte de bouleversements des valeurs et repères traditionnelles montre en effet que la psychiatrie a cette particularité de relever certes du domaine de la santé mais en tant que les phénomènes dont elle a à traiter sont le produit de notre discours social Dans un domaine où la violence est parfois le corollaire de certaines maladies, la réaction de notre ministre établissant un lien direct entre le double assassinat de Pau et l’état de délabrement du système de soins psychiatriques, pour exact qu’il soit, surprend.

Il surprend parce qu’il marque une rupture de ton qui substitue au silence ou aux préoccupations exclusivement techniques ou budgétaires, un souci humaniste et des moyens financiers.

Certes,  les pouvoirs publics ne pouvaient rester silencieux devant des « victimes innocentes » comme ils le furent devant nombre de malades victimes depuis plusieurs années de la dégradation des conditions de soins. Plus grave, c’est moins à la souffrance qu’à la violence qu’il est répondu, portant la suspicion d’un réflexe sécuritaire là où il s’agit avant tout de soins et d’humanisme.

Le drame de Pau, l’assassinat de l’hôpital de Saint Venant, le meurtre à la station Rambuteau n’ont pas révélé un état des lieux. Celui-ci était connu. La presse s’en était fait l’écho : situation des hôpitaux, fermeture administrative de structures alternatives, augmentation du nombre d’internements par défaut de prise en charge ou « effet tourniquet », errance et désocialisation de nombre de psychotiques....La profession, dans son entier rassemblée à Montpellier pour les états généraux, avait, dés 2003, alerté les pouvoirs publics. Les sonnettes d’alarme avaient été tirées mille fois. Ce qui a, dramatiquement, éclaté au grand jour ne sont que les conséquences d’une politique d’indifférence soutenue par une idéologie récusant la dimension spécifique de la maladie psychiatrique.

Ces événements nous rappellent aussi que toute société refusant de se doter des moyens de sa pacification accepte sa propre destruction interne et Michel Foucault avait en son temps pointé le caractère civilisateur de la psychiatrie,  accentuant, jusqu’à l’outrance, sa dimension répressive.

Pour une certaine rationalité clinique expérimentée, le fou relève toujours de la sagesse antique, traditionnelle. Notre modernité le situe maintenant du coté du déficit et du handicap.

Voilà sans doute pourquoi la psychiatrie est aujourd’hui une vieille dame oubliée de la république et des modes, en cure d’amaigrissement permanente, une vieille dame dont on dit qu’elle ressasse ses histoires d’un autre âge, dont on dit qu’elle se refuse à passer à la modernité là où son objet est justement rétif à se laisser cerner et saisir par le positivisme ambiant.

Comment s’assurer, dans ce climat compassionnel, que la volonté ministérielle enraye une évolution que ses prédécesseurs ont programmée et décidée de longue date dans l’indifférence générale à l’exclusion des patients et de leurs familles cependant que les psychiatres, en voie d’extinction, s’éreintent dans des tâches administratives croissantes sous contrôle d’un encadrement caporalisé.

La question posée à la psychiatrie au sortir de la seconde guerre mondiale a été celle de l’asile et de ses conditions. Ce furent des questions éminemment pratiques, elles devinrent des enjeux idéologiques. Traumatisé par la politique d’élimination du III° Reich relayé par Vichy, un certain nombre de psychiatres, éthiquement intransigeants, avait su redonner leur dignité aux malades. Globalement, le projet de la sectorisation a été le principal vecteur de cette ambition humaniste, projet simple qui consistait à mettre à la disposition d’une population donnée d’un secteur géographique un arsenal thérapeutique (hôpital de jour, foyer, centre de consultation, appartements thérapeutiques) susceptible de prolonger et de désenclaver les soins hors de structures hospitalières lourdes, obsolètes et devenues au fil du temps de véritables cours des miracles. Les progrès de la psychopharmacologie avec l’apparition des premiers neuroleptiques ont largement favorisé ce mouvement hors des murs de l’asile et ont permis l’accès à des soins « extra muros ».

Ce projet simple et ambitieux, probablement budgétivore, s’est heurté à un couple inédit, alliant contraintes économiques et évolution culturelle cependant que peu à peu disparaissaient les témoins directes de ce que furent les politiques totalitaires en matière de santé mentale.

N’insistons pas sur le facteur économique : premier choc pétrolier, politique d’économie et de restriction budgétaire, contamination des principes de productivité et de rentabilité y compris dans des domaines réfractaires à tout ordre comptable (quel est le coût d’une psychose ?). La conséquence fût, rapidement, un déséquilibre croissant entre de trop rares créations de structures alternatives et la réduction à marche forcée des capacités d’accueil hospitalier (fermeture de 125 000 lits en 30 ans). Une logique identique a prévalu dans la gestion et le recrutement du personnel nécessaire au fonctionnement et à la mise en place de ce qui, à l’époque se présentait comme précurseur des actuels réseaux de soins.

D’un projet de désenclavement des soins, d’ouverture, la politique de secteur s’est transformée en politique de désinstitutionalisation massive et anarchique qui n’a cessé de laisser sur sa route les patients les plus difficiles, c’est à dire les plus malades qui constituent aujourd’hui plus de 30% de la population carcérale et l’infinie cohorte des SDF.

Parallèlement, la filière de formation des infirmiers psychiatriques était fermée avec la perte sèche de leur savoir faire, le recrutement des futurs psychiatres était drastiquement contingenté et leur formation par  l’université réduite exclusivement aux normes anglo-saxonnes. La tradition humaniste de la prestigieuse école de psychiatrie franco-allemande s’est ainsi vue renvoyée au rang des curiosités muséographiques au nom d’un supposé progrès scientifique promu par une industrie pharmaceutique alléchée par les énormes bénéfices attendus « des pilules du bonheur ».

Le résultat est là : manque de structures et de moyens, déficit organisé en personnel, discipline en régression théorique, emprise d’une bureaucratie à la croissance exponentielle, chronophage et paranoïaque.

Mais ceci n’a été possible qu’à la faveur de profondes modifications dans la conception de la folie dans nos sociétés contemporaines.

Née sous les auspices de la philosophie des lumières, le dernier tiers du siècle passé a vu la question de la folie se déplacer d’une part dans le champ technoscientifique avec l’essor des neurosciences et de leur dérive utilitariste, le cognitivisme, d’autre part dans le champ sociopolitique avec l’interprétation marxiste et la lecture de Michel Foucault,  cette évolution s’opérant à mesure du déclin progressif au sein des hôpitaux des références psychanalytiques.

De phénomène étrange, la folie est devenue étrangère, c’est-à-dire amputée de sa prétention à véhiculer un sens. C’est l’existence de la folie en tant que virtualité permanente de l’homme qui a été récusée pour être remplacée par des notions congruentes de fait et lestées du poids des certitudes que donne le label scientifique. La folie est devenue aujourd’hui pour le scientifique un déficit, pour le sociopolitique une privation de droit.

Récuser l’existence même de la folie, c’est la livrer aux tendances ségrégationnistes qui courent, aujourd’hui, à travers la société. L’enceinte judiciaire est, à ce titre, exemplaire qui n’offre plus aux malades mentaux le couvert de l’irresponsabilité pénale. C’est aussi, au quotidien, l’injonction à une réinsertion hypothétique pour ceux nombreux qui,  structuralement, ne peuvent plus se confronter aux exigences de la vie sociale.

La question est simple, la psychiatrie est médicale parce que elle se fait au chevet des patients, elle est avant tout clinique mais une clinique ne peut se dissocier du discours ambiant et un certain nombre de psychiatres inquiets des dérives idéologiques dans lesquelles leur discipline se perd ont dernièrement crée un collège de psychiatrie pour proposer à tous un enseignement clinique que, souvent, la faculté n’est plus en mesure de leur offrir.

Il nous revient, à tous, de nous demander ce que nous faisons de nos fous, de nos semblables, y compris des moyens que nous nous donnons pour assurer leur soin et leur dignité et s’il est légitime de réguler les dépenses de santé,  de tenir compte des progrès scientifiques, comment justifier l’effacement progressif du champ de la psychiatrie pour le réduire à des procédures techniques dictées par une logique managériale issue de l’économie du marché ?

Renouant avec l’éthique de soins, le plan annoncé par le Ministre de la santé présenté comme un document de travail redonne enfin quelque espoir. La psychiatrie ne pourra se contenter d’annonces médiatiques ni d’un plan de colmatage, là où des réformes structurelles qui prennent en compte la réalité de la maladie mentale sont indispensables.

((Yannick Cann)), psychiatre, Co-fondateur du collège de psychiatrie  (école pratique d’enseignement et de recherche) ((Thierry Jean)), psychiatre, secrétaire de rédaction du Journal Français de Psychiatrie