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JEANVOINE Michel. Commune mesure et clinique.

PREAMBULE :MICHEL JEANVOINE

LA COMMUNE MESURE



!       Collège de psychiatrie Introduction au séminaire sur les « Modalités du déclenchement et d’entrée dans les psychoses » le 16 novembre 2005 à Henri EY    

   
         INTRODUCTION A LA FABRIQUE DE CAS 

         COMMUNE MESURE ET CLINIQUE              


  
 Le Collège de psychiatrie a mis en au cœur de son travail la question de la réhabilitation de la clinique et cette première conférence ne peut pas ne pas interroger la clinique dans ce qui la spécifie. En remerciant Madame LADOUCETTE, directrice, Mme le Docteur SANTOS et le Dr Michel DAUDIN de bien vouloir nous accueillir à Henri EY pour ce travail qui se dépliera tout au long de l’année, c’est avec cette question que j’ouvre ce travail : qu’est ce que la clinique ? Et il m’est venu ce titre que je persiste à trouver assez étrange de « Commune mesure et clinique ». Je vous le soumets et je vais tenter d’en faire valoir tout l’intérêt et la portée.  
      Cette « commune mesure » me paraît, en effet, importante et je dois dire qu’en préparant ce travail j’ai eu une heureuse surprise. Jusqu’alors cette « commune mesure » évoquait pour moi principalement ce que pouvait en dire J.LACAN dans ses derniers séminaires où celui-ci, faisant le nœud borroméen, nouait R le réel, S le symbolique et I l’imaginaire en les faisant jouer ensemble dans un nœud. C’est en les nouant qu’il leur donne la commune mesure de cette consistance dès lors commune. Et toute la topologie de la dernière partie de son enseignement tourne autour de ce concept de « commune mesure ». 
 
      Quelle ne fût pas ma surprise en me rendant compte qu’en 1932, dans sa thèse, J.LACAN évoquait déjà la « commune mesure ». Vous trouvez cela page 256 aux Editions du Seuil. Qu’en dit-il à cette époque? Il engage, autour de ce concept de « commune mesure », un véritable acte de fondation. En effet c’est avec la commune mesure qu’il devient freudien. Il nous le dit clairement, ce qui l’intéresse c’est cette énergétique proposée par FREUD et que celui-ci nomme libido. En effet FREUD,
avec ce concept de libido, donne commune mesure libidinale au matériel que lui amène, lui apporte, son analysant. C’est ce que retient J.LACAN. Et à partir du moment où ce champ libidinal se constitue il devient possible de travailler sur cette surface en dégageant les liens, articulations,… entre les différents éléments qui la constituent et qui, de ce fait freudien, ont pris commune mesure. Comme vous l’entendez il s’agit d’une construction, de jeux d’écriture, qui vont ouvrir la porte à une clinique et à une logique qu’il s’agira de déplier. A la suite de FREUD ce sera tout le travail de J.LACAN. Et c’est pourquoi il va tout d’abord s’agir d’une clinique freudienne pour J.LACAN; et pour nous aujourd’hui d’une clinique lacanienne.     

    Retrouver 40 ans après cette commune mesure toujours à l’œuvre dans son travail, même si le sens s’en est déplacé, ceci n’est pas complètement banal et mérite que nous puissions nous y arrêter un instant. Avec cette « commune mesure » il constitue ce qui deviendra, pour ses lecteurs que nous sommes aujourd’hui, une clinique. Et sa démarche se veut, dans ce champ posé comme freudien,c
omme étant une démarche logique et scientifique. Son objet, dès lors, devient lequel? Celui du dire, du dire du patient qui lui parle. Quelles sont donc les lois qui organisent ce champ de la parole et du langage, ce champ de la libido? Tel va devenir son propos. Comment cela fonctionne t-il? Comment cela tient-il? Et dans ce champ, en construisant sa clinique, il va y aller de ses lectures avec ses écritures.      
    Peut-être allez-vous faire la remarque que si j’évoque la commune mesure il nous en est déjà proposés des communes mesures à nous, psychiatres. Ce fameux DSM n’en serait-il pas une et ne serait-il pas soutenu par ce projet de donner commune mesure à une clinique qui, du même coup serait la même pour chacun? Celle-ci a une certaine consistance et trouve même une écriture dans un petit livre- et nous connaissons le destin des petits livres- pour se proposer au praticien qui en devient dès lors celui qui l’applique et où celui-ci ne peut venir qu’occuper la place du technicien devant l’outil proposé. Voilà ce que nous propose le DSM avec toutes les pratiques d’évaluation qui lui sont adjacentes: un outil anonyme dont nous pourrions nous servir. Aujourd’hui même j’ai reçu au courrier un document proposant au praticien l’usage, moyennant finances, d’un logiciel informatique pouvant réaliser enfin- comme le dit la réclame- des mesures objectivantes du comportement et de la psychopathologie du patient et qui devrait pouvoir soulager le praticien de la dimension de l’aléa….Dans
ce type de commune mesure proposée celle-ci est déjà écrite et se propose comme telle au praticien. Rien à voir avec celle que j’évoquais où cette commune mesure n’est pas autre que celle que le praticien engage et soutient dans son acte de « donner commune mesure ». C’est de cet écart et de ces enjeux dont je voudrais vous entretenir plus longuement pour en tirer quelques réflexions et conséquences.          
En 1932 J.LACAN n’est pas analyste, il est encore ce jeune psychiatre qui va passer et soutenir sa thèse, et il pourra nous dire que c’est avec Aimée qu’il deviendra freudien et entrera dans ce travail.        
C’est avec elle que ça se déclenche pour lui et qu’il entre dans ce parcours qui va devenir le sien. En mettant au centre de son travail cette question de la commune mesure il ne fera pas autre chose que remettre au centre, renouveler à chaque fois, les enjeux propres à toute clinique. Et dans ce type de clinique le clinicien s’engage, il engage ses écritures. Il y va de sa coupe,
de sa découpe dans cette lecture avec un reste qui spécifie cette commune mesure. Et dans cette découpe il s’y engage comme sujet avec son désir. C’est pourquoi nous pouvons soutenir que le clinicien se trouve inclus dans le tableau clinique. Et nous pouvons parler d’une clinique clérambaldienne, eyienne…? D’une clinique freudienne comme a pu le faire J.LACAN ou pour nous d’une clinique lacanienne. C’est-à-dire que cette clinique est habitée par une signature avec son reste qui lui est à chaque fois spécifique. Elle est à chaque fois rapportée à un fondateur à la différence de ce qui se passe avec une clinique- et je ne sais pas si nous pouvons l’appeler clinique- où il est proposé de la commune mesure comme du prêt-à-porter, une clinique anonyme où seul un acronyme dans une langue étrangère la désigne. Et ce clinicien, qui engage avec ce nœud d’écriture son désir, peut se trouver investi d’un savoir. « Clinique freudienne », c’est ce qui a fonctionné pour J.LACAN. Il est venu s’y loger en acceptant d’en passer par les écritures freudiennes, en les faisant siennes pour en explorer leurs points de butée : c’est-à-dire prendre la mesure de ce qui vient leur dire non, soit d’un réel qu’il est possible dès lors de qualifier de freudien.       
 Avec une telle clinique signée peut alors se poser la question du transfert c’est-à-dire, comme J.LACAN nous l’a appris, de l’investissement de ce sujet supposé au savoir présentifié par l’analyste. Pas de clinique sans transfert,
il y a toujours un transfert. Avec une « clinique » qui n’assume pas sa signature, que devient le transfert ? Où passe t-il, que devient-il ? N’y en aurait-il pas ? Certainement pas ! Mais pas moyen, ce transfert aveugle, de le mettre au travail. Impossible de laisser à chacun une chance, par la mise au travail de ce lien de transfert reconnu et assumé, de s’en dégager en ayant la possibilité d’y faire un parcours. Sans cette signature assumée, et avec cet anonymat, pas de mise au travail possible …et pas de renouvellement possible de la clinique.        Ces questions sont des questions centrales et j’ai déjà souligné comment pour J.LACAN c’était en freudien qu’il était venu faire son travail de clinicien; c’était là qu’il était venu se loger et ce qui lui avait permis de faire son travail.       
Est-il possible de faire l’économie de ce type d’engagement? Si nous répondons oui à cette question- et pourquoi pas mais que cela se fasse en toute connaissance de cause- que se passe t-il ? Cela voudrait-il dire que le psychiatre que nous sommes et qui voudrait faire l’économie de la question du transfert dans son travail ne pourrait que se situer en technicien en faisant valoir une clinique déjà écrite? Il n’aurait pas à se préoccuper du reste que celle-ci peut engendrer- là où celle-ci bute sur un réel- en mettant ce reste à son compte. C’est-à-dire que celui-ci ne pourrait avoir à faire qu’à une clinique quasiment xénopathique avec les effets psychotisants attachés à ce type de position. Le type d’engagement de ce psychiatre-technicien est bien différent de celui d’un clinicien qui engage le travail de la commune mesure. Et si nous voulons faire l’économie dans notre clinique de ce type d’engagement et de notre désir que rencontrons nous ?               Une clinique qui n’en est plus une,
une clinique morte, et une psychiatrie morte. Si la psychiatrie peut rester vivante c’est tout simplement parce que celle-ci s’organise autour d’une clinique vivante qui suppose ce type d’engagement et ce désir, soit une clinique en perpétuelle réinvention, une clinique au travail.     
Il y a là une alternative, qui n’en est pas une d’ailleurs, puisque si nous choisissons de ne pas y être pour grande chose nous disparaissons comme praticien en laissant la place au travail des logiciels qui feront très bien le travail d’évaluation des patients par le biais de grilles préétablies…. 
     
J.LACAN avait très bien repéré cette fausse alternative comme étant déjà celle proposée à tout médecin avec l’irruption des techniques scientifiques puisqu’en 1966, dans une conférence faire aux médecins à l’initiative de Jenny AUBRY et intitulée « La place de la psychanalyse dans la médecine » il l’évoque clairement. Vous pouvez la lire dans « Les cahiers du collège de médecine des hôpitaux » n°12 année 1966. Cette conférence est intéressante car elle nous présente le malentendu absolu qui pouvait régner à cette époque sur ces questions et où J.LACAN tente de faire entendre qu’il n’y a pas d’autre avenir pour une médecine dévorée par les techniques qu’en prenant en compte, avec ses conséquences, le lien de langage et de parole qui ordonne le lien patient-médecin. Son avenir, en tant que discipline- et si elle en avait un, ce qui n’avait rien d’obligatoire- passait par là. Si vous ne prenez pas en compte le fait que vos patients vous parlent, leur disait-il, cette fonction sacrée qui est la vôtre depuis le fond des âges,
et que vous représentez, disparaît. Et le médecin ne peut que s’effacer derrière le technicien…Et le médecin-technicien n’a aucun avenir. Si la médecine a un avenir c’est par la prise en compte consentie de cette dimension sacrée. Aujourd’hui nous en sommes là pour la psychiatrie elle-même avec les enjeux liés à sa disparition comme discipline si celle-ci continue à ne pas prendre en compte ce qui fait pourtant sa spécificité depuis sa séparation d’avec la neurologie: cette dimension du langage et cette clinique spécifique dont je vous parle. Cette séparation, comme vous le savez, date de 1968. Je suis moi-même psychiatre et j’avais pensé que cette séparation, jugée bienvenue à l’époque, allait donner les moyens à cette psychiatrie naissante de se penser, de s’élaborer et de se soutenir comme discipline en travaillant la question de ce qui peut faire sa spécificité. Où en sommes-nous aujourd’hui sur cette question, 35 ans après? L’autre jour à la séance inaugurale de ce séminaire était posée cette question de savoir ce qui s’était passé pour que cette discipline soit quasiment en voie de disparition. Que s’est-il passé pour que nous en soyons là? Que nous est-il donc arrivé? Je n’ai pas spécialement de réponse sinon cette réflexion que j’amène aujourd’hui. Mais peut-être avez-vous quelques idées? En tous cas le Collège de psychiatrie s’est constitué pour essayer de relever ce défi ou pour, plus modestement, y participer.      
Ces enjeux sont des enjeux cruciaux. Et si depuis la naissance de la psychiatrie celle-ci a pour préoccupation et met au cœur de son travail la question de la folie, nous pouvons même nous demander si son rêve secret,
et actuel, ne serait pas celui de s’en débarrasser…En effet cette vérité à chaque fois agitée par nos patients pourrait finir par nous déranger et en assumer les effets dans le champ du politique serait si lourd de conséquences que si nous pouvions en faire l’économie…..si nous pouvions botter en touche….       
Or nos patients parlent et continuent à parler et nous avons toujours à placer la folie au cœur de notre travail de psychiatre. Et non seulement au cœur de la psychiatrie mais au cœur de la psychanalyse. Nous avons à assumer ce centrage avec toutes les conséquences logiques de cette affaire. Cela n’est pas forcément simple mais il nous faut pourtant avoir ce courage. Dans les débats récents, et toujours actuels d’ailleurs, sur l’usage du titre de psychothérapeute nous avons vu comment un corps rêvé de professionnels de psychothérapeutes entendait se constituer en faisant l’économie de cette dimension …Il aurait été possible de faire ce travail de psychothérapeute en ignorant totalement ces questions! Le législateur n’a pas pris cette direction- et cela n’a tenu qu’à un cheveu. Il y a un mouvement de fond qui pousse à la surdité sur ces questions, dont il ne faut peut-être pas trop s’étonner, mais sur lequel il est de notre devoir d’attirer l’attention. Non seulement placer la folie au cœur de la psychiatrie, de la psychanalyse, mais aussi au cœur de la psychothérapie !
      
Comment faire avec ces problèmes cruciaux que j’évoque ? Bien entendu par le travail de chacun mais aussi par une réflexion sur les lieux d’enseignements. Il y a en effet un lieu par excellence où la clinique se fabrique, et se propose à la transmission, c’est le lieu d’une présentation de malades. Il y en a maintenant quelques-unes et vous avez la chance, à l’Hôpital Henri EY, de posséder un tel lieu d’enseignement soutenu par le Dr Michel DAUDIN. Ceci est très précieux en effet puisque dans un tel lieu se donne à entendre comment la clinique ne descend pas du ciel mais se construit dans une lecture, dans une découpe soutenue par le présentateur qui ne peut qu’y engager son désir. Il y va, avec ce qu’il entend, de sa lecture et de la commune mesure susceptible de faire trait,
le trait du cas. C’est de ce travail de découpe, de ponctuation, de tissage, de fabrication de la clinique, qu’une présentation nous parle. Et ceci est formateur et enseignant; non seulement pour le patient lui-même ou le présentateur, mais pour l’assistance silencieuse.      

Voilà ce que je voulais avancer comme introduction à ce séminaire sur les « Modalités de déclenchement et d’entrée dans les psychoses ». S’interroger sur le statut de la clinique m’était apparu comme un préalable indispensable avant d’entrer plus avant dans le vif du sujet; si nous n’y étions pas déjà !
         

                                                                                                          Hôpital Henri EY, novembre 2005
 

                                                                                                              Docteur Michel JEANVOINE