Trois axes d'enseignement
Journées d'études
Séminaires
Présentations cliniques
Dans les régions
Aquitaine
Centre
Isère
Strasbourg
Région parisienne
Projets
France
Europe

Rechercher

 



 

 

KOLKO Catherine. Le délire: une histoire qui se voudrait singuliére


Merci à Michel Jeanvoine  de m’avoir invitée à ces journées cliniques autour du délire. La clinique nous apprend à sortir du sillon, à inventer, mais aussi à transmettre nos orientations. Cela ne veut pas dire que le sillon n’est pas là. Mais il me semble qu’à cet exercice qui consiste à transmettre l’enseignement issu de la clinique, il y ait deux voix : L’une où on vérifie la théorie, l’autre où on se laisse porter par ce qui vous traverse et c’est l’orientation que je prendrai aujourd’hui dans ce que j’appellerai une fantaisie clinique. Freud disait aimer ces fantaisies. 


Qu’est ce que le délire ? Une histoire qui voudrait se raconter. Mais comment se raconter quand on a pas d’histoire ; pas d’ancrage de représentation pour raconter son être au monde ? Le délire est un récit sans sujet, sans un je, qui pourrait se dire et transmettre dans
une adresse à l’autre son être au monde, trouver des mots pour se représenter. Vous l’aurez compris c’est dans la structure même du langage que le défaut s’est immiscé. La vérité est convoquée sans cesse, le sujet se trouve privé de  cet écart, cet espace,  ce trou entre soi et l’autre. Ca c’est mon sillon théorique et c’est mon expérience clinique qui me fera revenir aujourd’hui aux sources, en réinterrogeant la mise en place des représentations chez le tout petit.  

Antoine vient me voir parce que son psychiatre lui a dit de prendre rendez vous avec moi. Il vient donc,  il revient même. Sur mon questionnement, il répond «  c’est parce qu’une amie de ma mère m’a empoisonné avec des gnocchis « Ils m’ont enfermé à l’hôpital psychiatrique «. Le propos est pauvre, une vérité qui croit tout dire. D ans la tête de l’analyste par contre ça foisonne du coté de la subjectivité .L’analyste est en plein transfert sur cette entité langagière qu’Antoine dépose.  De quoi me parle –t il ? Pressentant que par cette holophrase,  Antoine ne dit justement rien car il dit tout. Un tout qui ne lui permet pas d’être un autre  et par là même de m’adresser son récit, ses perceptions, ses intuitions, son ressenti. Cette entité langagière c’est précisément ce que nous appelons délire .Une phrase sans écarts, sans support subjectif, sans aucune pluralité de sens, une création verbale sans signifiants sans chaine associative. L ‘analyste voudrait y trouver quelque sens, alors il questionne, il suggère il suppose. Il s’invente un récit qui ferait devenir cette histoire singulière. IL a quelque expérience du délire, il sait notamment parce que l’expérience lui a apprise, l’inopportunité de l’interprétation qui ramènerait à l’histoire du sujet. Mais pourtant il imagine, il se raconte dans sa tête l’histoire qu’Antoine ne peut lui raconter. Cette histoire je pourrais vous la raconter comme ça :
Ma mère m’a demandé d’aller rencontrer une de ses amis, j’y suis allé sans trop me demander pourquoi. Cette femme était gentille , elle m’a très bien reçu et pourtant je me sentais mal à l’aise , puis j’ai ressenti de l’angoisse , je ne saurai dire pourquoi il me semblait ressentir une certaine hostilité de sa part , bien qu’elle soit aimable , elle a même tenu à me garder à déjeuner , je ne sais pas pourquoi ses gnocchis qu’elle m’a servi me sont restés sur l’estomac  a tel point que j’ai même eu l’espace d’un instant l’impression qu’elle voulait m’empoisonner « 
Ce récit construit par l’analyste n’aurait aucun effet sur la construction délirante d’Antoine, parce qu’il est emmaillé de questions sur son ressenti , parce qu’il rend compte d’une appréhension de l’autre qui tient compte de la dimension d’une division du sujet . Par exemple on peut se vouloir gentil et ne pas l’être .
 L analyste  se  construit une histoire dans sa tête comme si il était Antoine, bien qu’il sache qu’il n’est pas lui, il se souvient que des moments comme celui qu’il imagine ou on ressent l’hostilité de l’autre et qu’elle ne se nomme pas il en a vécu lui même. Pour prêter une subjectivité à l’autre, il doit se souvenir de ce qu’il a vécu lui même.
Il traduit comme la mère avec le petit nourrisson, quand elle interprète les cris biologiques qu’elle appelle pleurs,  les mouvements du corps du bébé, auxquels elle prête une signification à laquelle elle répond par des actions adéquates qu’elle va répéter jusqu’à ce que le petit puisse les attendre, les espérer, voir les halluciner. Naissance de la demande à un autre.
Le chaos sensitive dans lequel vit le bébé est un réel qui sans traductions de l’autre maternel ne permettra pas l’entrée dans la demande à l’autre.

Seulement avec Antoine ça ne marche plus. Sans doute parce qu’il n’a pas pu trouver dans les réponses proposées par l’autre maternel, une anticipation interprétative  suffisante, qui lui ait permis de trouver l’écart nécessaire pour inaugurer sa demande. Ceci aurait eu pour conséquence de lui permettre d’engranger un certain nombre de représentations dans ce que nous appelons inconscient.

Antoine ne le peut pas et pourtant il vient de créer une représentation de son être au monde auquel il va tenir plus que tout .Quel est cette poussée du sensitif qui l’a amené à créer ce délire ? C’est une question que je vous pose car je n’en ai pas à ce jour trouver de réponses.  Cela me fait penser à l’objet autistique, objet dur qui s’imprime dans la main au point que si on le retire il reste dans la main de l’enfant. Objet que j’appelle métonymique en temps qu’il représente le tout de la sensation.

La constitution métonymique est un premier temps chez le nourrisson d’une ébauche de représentation du réel, de transformation du réel auquel il est confronté. Dans un deuxième temps,  le petit enregistrera l’absence de l’autre pour constituer une suppléance  qui représentera cette absence grâce à l’objet transitionnel qui est la constitution évidente d’une première métaphore. Métaphore au sens ou cette objet chiffon ou autre doudou n’est pas le corps de la mère mais son substitut, quelque chose qui dit en même temps qu’elle (la mère) est là par la sensation de douceur et de bien être que procure ce chiffon, mais qu’en même temps elle n’est pas là. 

Pourquoi donc vous direz vous faire ce détour , alors que je semblais vouloir orienter mon propos sur le délire d’un point de vue structurale , et la fonction de la langue ? Disons que j’associe librement devant vous  et que ce ratage de la constitution de la métaphore me semble primordiale dans les questions qui nous réunissent aujourd’hui.
Je vais me risquer  à la suite de cette digression à vous soumettre l’idée selon laquelle le délire est une création d’un objet métonymique comme il se constitue dans l’autisme.
Le délirant tient à son délire plus que tout. Il fait point originaire. Si le psychotique ne peut s’appuyer sur un quelconque souvenir, ne peut se raconter dans son histoire, c’est  sans doute parce qu’il n’en a pas encore constitué la trace. Force est de reconnaître pour tous ceux qui ont eu à entendre des délirants,  à quel point  le délire leur  tient lieu d’histoire. Ils ont fabriqué pour la première fois  une origine à leur mal être. Certes cette histoire est intraduisible, intransmissible à un autre, parce qu’elle ne permet pas de constituer de l’autre, tout au plus et ce n’est pas rien, elle marque la rencontre avec la figure d’un grand Autre par le biais d’un persécuteur.
 Dans l’hallucination, est constitué la présence d’un autre qui n’est pas soi mais qui s’immisce en soi. Les voix viennent bien d’un ailleurs, les signes viennent bien d’un autre : Dieu,  la société, le KGB ou tout autre instance et sont envoyés au délirant pour le soumettre à leur vérité sans équivoque. Un petit combat est installé qui indique une velléité d’existence quelque chose qui met en scène l’aliénation, mais aussi la plainte face à la vérité in contournable d’un grand Autre.

Mais revenons à Antoine que puis-je lui proposer ? La conséquence de la création délirante d’Antoine c’est bien sur qu’il  est l’objet d’un complot international qui cherche abusivement à l’enfermer et ne le lâchera pas. N ‘est ce pas pour la première fois une tentative certes vouée à  l’échec mais qui porte en germe un regard singulier sur le monde auquel il est soumis, une amorce de jugement dans ce qui l’enferme en dehors de lui, depuis toujours, cette vérité inexorable qui l’empêche d’avoir accès à la multitude des vérités singulières d’ou il pourrait constituer un je qui le représente.

C’est dans le temps de son dire, de son délire qu’il tente de sortir de ce réel inexorable auquel il est assigné. Manque l’autre, l’adresse  à un autre secourable que Freud désignait du terme de prochain.

Le transfert  manié par le psychanalyste  transforme  par exemple un «  je souffre «  en un «  vous me dites que vous souffrez «  C ‘est à dire que l’analyste transforme , traduit ,  l’énoncé premier en une demande adressée à l’autre . Il crée, renouvelle la dimension d’espace de trou entre » je » et sa souffrance, en réintroduisant la dimension de ce « je souffre » dans la dimension de son énonciation et de son adresse à un autre.

C’est précisément sur ce point que bute le psychanalyste dans son travail avec des délirants. Si le névrosé attrape sans mal la perche que lui tend l’analyste, il n’en est pas de même dans la psychose car c’est précisément cette fonction transférentielle qui a été mis à mal pour le jeune enfant. C’est ce dont il ne peut se saisir n’en portant pas les traces.

J ‘ai beaucoup été enseigné par le travail que j’ai fait avec de jeunes enfants, qui m’a fait m’intéresser  aux jeunes autistes et à ce qu’il fallait retisser avec eux pour les faire entrer dans le monde du langage. j’ai été surprise de constater que cette entrée se faisait subitement sans passer par des babillages , par la fabrication d’onomatopées , sorte de phrases compactes , sans césure qui m’ont souvent fait penser au texte délirant en tant que les mots contenus dans la phrase ne semblaient avoir aucun contenu signifiant . Je me gardais bien d’interpréter, de rechercher un quelconque sens, ou une quelconque origine à ce qui pouvait ressembler à du langage  .j’ai rapidement compris que seul manquait à cette phrase, un autre à qui s’adresser . J ‘ai choisi chaque fois de me constituer comme cet autre. Je me souviens de cette petite fille qui répétait à l’infini un «  tu seras privé de danette » et je m’empressais de me faire l’interlocuteur de cette entité langagière. C’était par exemple une réponse qui disait «  non maman ,je veux de la danette , j’ai été sage aujourd’hui , je ne veux pas que tu me prives de ça » je développais devant elle toutes les réponses possibles qui l’introduisait ,elle, comme un autre , un  interlocuteur . Je me constituais comme le destinataire de sa parole. Au bout d’un certain temps la jubilation de cette petite fille m’indiqua que ce travail n’avait pas été vain . Cette litanie ne lui fut plus nécessaire, elle me parlait. L’adresse avait été constituée.
 
Le délire m’apparaît de même nature que ces onomatopées produites dans certaines cures d’enfants autiste. Le texte délirant n’est pas déchiffrable, mais est en attente d’une langue à constituer, d’une adresse à fabriquer.

Rappelons nous à ce propos le formidable travail de Louis Wolfson  qui cherchait à inventer une langue polyphonique à partir de mots étrangers et qui a si bien décrit en quoi l’anglais, sa langue maternelle, était impropre à rendre compte d’une position singulière. L’anglais était pour lui la langue de la mère et ne pouvait par conséquent  que rendre compte des pensées de sa mère. Comment mieux dire en quoi cette langue de la vérité maternelle, empêchait pour lui tout énoncé subjectif. Je ne suis pas sûre que ce travail, engagé sur de longues années, l’ait sorti de sa psychose. La publication de ce livre, notamment en France, où il fut très apprécié, lui a toutefois donné un certain nombre d’interlocuteurs.

Encore un mot sur l’impossibilité que rencontrent  certaines mères dans leur travail de traduction. Travaillant dans un service d’hospitalisation Mère bébé, je fus surprise de constater le désarroi extrême que rencontraient ces mères devant les pleurs de l’enfant. Elles manifestaient toutes par là l’impossibilité ou elles se trouvaient de proposer au bébé, d’inventer, une quelconque traduction toute subjective à cette manifestation qui venait de l’autre. Elles montrent par là, qu’elles sont elle même aliénées  à la parole unique qui vient de l’extérieur,  dont elles n’ont pu se décoller pour penser , supposant une seule réponse , parole de vérité qu’une réponse, la vraie . Privées de leur propre représentation, se mettre à la place de l’enfant est impossible .  Elles ne peuvent  rêver l’enfant c est à dire se mettre en anticipation subjective  face au réel intraduisible dont le bébé est porteur. Elles ne peuvent être en transfert avec lui «  tu me dis que ;;; » « tes pleurs me disent que « .

 Je reviens ici  sur cette affirmation selon laquelle il me semble important de ne pas interpréter le délire faute de se retrouver très vite en place de persécuteur. Parce que l’interprétation ne peut fonctionner que si le sujet a à sa disposition un certain nombre de représentations qui lui permettent un glissement sur la chaine signifiante. Le délire n’est pas fabriqué à partir de signifiants (qui représentent le sujet pour d’autres signifiant). Le rôle de l’analyste consiste plutôt à nouer par ses propres constructions des éléments du délire dans un registre polyphonique.
 Je vais vous en donnez un exemple : On m’a rapporté qu’à une présentation de malade, Lacan qui s’entretenait avec un patient dont le délire persécutif tournait autour de l’idée qu’il était suivi dans la rue, Lacan donc avec audace, termina son entretien sur cette phrase «  je vais vous adresser à quelqu’un qui va vous suivre  ». Le propos n’a surement pas fait effet immédiat mais il indique la direction entreprise, non pas de l’interprétation mais du nouage tenté pour rentrer dans le registre de la polysémie du signifiant.
Souvenez vous de ce texte littéraire intitulé la Gradiva de Yansen , ou Hanold se croit sur les pas de la Gradiva , et de la réplique de Zoé lorsque celle ci, acceptant de se faire l’interlocutrice d’Hanold dans son délire, lui réplique «  il y a mille ans que nous n’avons pas mangé ensemble « .

Le deuxième point que je voulais mettre au débat est celui du transfert, transfert initié par l’analyste qui prête à l’autre , qui n’est pas encore tout à fait autre , transfert au sujet qui n’est pas encore tout à fait sujet, un savoir insu .Il s’agit à mon sens dans le délire de constituer une langue qui est encore  à construire .
L’analyste se trouve dans une situation tout à fait particulière. Il ne peut s’engager sur la voix de l’interprétation du délire, c’est à dire donner sens à la construction délirante , contrairement à ce qui s’avère habituellement opérant dans les cures , lorsqu’il se trouve en présence des rejetons symptomatiques du « refoulé ». Le délire ne peut faire sens . L’analyste se trouve plutôt dans une adresse au psychotique, dans une position ou il lui formule son désir de savoir , imputant au délirant une place de savoir potentiel. . La cure analytique aurait là pour fonction de traduire, sur le mode des traductions de l’autre maternel, et non d’interpréter ces émergences d’un réel non symbolisable, qui ne cesse de faire signe. La cure dans ce cas peut se penser comme une écriture dont l’objet serait de représenter en mots ce qui fait défaut à toute représentation, ce qui s’y oublie.

Pour conclure et laisser place à vos questions, je reviendrai un instant sur les questions de l’enfant après l’apparition du langage, questions répétées à l’identique , qu’on pourrait penser prises dans une certaine fixité de la langue , par leurs répétitions incessantes . Pourquoi le ciel est bleu ? , pourquoi les chats marchent à quatre pattes ? Pourquoi elle n a pas de zizi ? Les réponses de l’adulte ,quand il croit bon de répondre ,  ne sont pas toujours identiques  , et il n’est pas rare que l’adulte de guerre lasse, abdique ,quand il se rend compte que son explication est vouée à rester insatisfaisante  .Il peut même arriver qu’il conclut par un « j’en sais rien « . L’enfant, dans son désir de savoir, finit par deviner, qu’en guise de vérité on lui raconte des histoires …et les histoires il va finalement aimer ça …
Antoine, quand je l’interroge, me montre à quel point ce champs du pourquoi a été inexplorable pour lui .On pourrait  dire que la psychose est un monde où il n’y a pas de pourquoi.  Ca me rappelle un autre monde que décrit Primo Lévy dans un de ses livres, où au seuil d’un camp de concentration, il interroge un garde d’un « pourquoi ? ». Je vous laisserai sur cette terrible réponse : « Ici il n’y a pas de pourquoi « .La suite vous la connaissez.